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Tchad : portrait de Wilfreed, kinésithérapeute avec HI

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Plaidoyer | Réadaptation | International | Tchad | PUBLIÉ LE 30 mars 2023
Portrait de Wilfreed

Portrait de Wilfreed | © HI

Natoyallah Djimingaye, dit Wilfreed, a 29 ans et est kinésithérapeute et Chargé de l'appui technique à la réadaptation chez HI au Tchad.

Bonjour Wilfreed, peux-tu te présenter ?

Je m’appelle Natoyallah Djimingaye. J’ai 29 ans, je suis kinésithérapeute et travaille chez HI comme Chargé de l'appui technique à la réadaptation. Dans mon rôle, je fournis un soutien technique aux projets de réadaptation de HI Tchad et contribue au développement de la stratégie d’intervention du secteur de la réadaptation.

Quel est ton parcours en tant que kinésithérapeute ?

La formation des professionnels de la réadaptation au Tchad est très limitée. Pour me former, j’ai bénéficié d’une bourse d’études entièrement financée par HI pour un cursus complet de formation en kinésithérapie à la Faculté des sciences de la santé de l’Université d’Abomey Calavi du Bénin. Après mes études, en 2021, je rejoins HI en tant que chargé de l'appui technique à la réadaptation, rôle que j’occupe à l’heure actuelle.

Pourquoi avoir choisi la voie de la kinésithérapie ? Qu’aimes-tu le plus dans ton métier ?

Il y a deux scènes qui m’ont marqué durant mon adolescence. La première, c’est celle de ma cousine Irène. Elle aurait eu 26 ans cette année, et serait peut-être devenue kinésithérapeute, ergothérapeute ou orthophoniste, si elle n’avait pas succombé aux séquelles de la paralysie cérébrale à l’âge de 18 ans, par manque de prise en charge adéquate. La deuxième est celle d’un enfant de mon village natal qui a perdu la vie à l’âge de 2 ans. Il était né avec une malformation congénitale et ses parents le considéraient comme une source de malédiction. J’ai choisi la voie de la kinésithérapie pour donner plus de chances à d’autres enfants d’être acceptés par leur entourage, de mieux grandir et de participer pleinement à la vie de leur communauté. Ce que j’aime le plus dans ce métier, c’est le contact avec le patient : quelqu’un qui vient vers vous pour se faire soigner, qui vous fait confiance et peut compter sur vous lorsqu’il a besoin de se confier.

Quel est ton meilleur souvenir depuis que tu as intégré HI ?

J’ai participé à une mission à Bol (Lac Tchad) pour former les mères des enfants atteints d’infirmité motrice cérébrale dans la pratique des gestes simples. L'objectif était d'améliorer leur autonomie dans les situations de la vie quotidienne : s’habiller, faire sa toilette, manger, marcher. Après 3 jours d’échanges et de pratique, l’expression du visage des mères m’a donné une joie indescriptible ! En 3 jours, elles ont vu un enfant de plus de 1 an commencer à ramper, alors qu’il ne l’avait jamais fait auparavant. Voir ça les a convaincues de l’importance de notre action et leur a fait réaliser que ce dont souffre leur enfant n’est pas du tout lié à la sorcellerie ou à une malédiction. Ce jour-là, j’avais réalisé mon rêve !

Quelles barrières persistent au Tchad pour l’accès aux services de réadaptation ?

La méconnaissance du secteur de la réadaptation est une barrière qui ralentit tout effort pour faire avancer l’accès aux services. On parle beaucoup de maladies infectieuses et on fait des campagnes de vaccination, mais on ne s’intéresse pas assez aux maladies chroniques non transmissibles et aux besoins de réadaptation de plus en plus croissants. D’habitude, on associe réadaptation et handicap et pourtant, tout le monde peut avoir besoin de services de réadaptation à un moment de sa vie.

A ce jour, la politique nationale du secteur de la réadaptation au Tchad n’est toujours pas validée malgré les travaux préliminaires, ce plan appuyé par HI dans son élaboration peine à être validé. HI dans son effort de contribuer à la validation de ce plan, a amorcé un plaidoyer auprès des partenaires techniques et financiers.

Les deux seuls centres qui offrent des services de réadaptation ne bénéficient pas de subventions de l’Etat, à ce jour. Il existe un centre étatique mais qui ne fonctionne pas pour plusieurs raisons. A l'heure actuelle, HI est  l’une des seules ONG internationales à intervenir dans le secteur de la réadaptation au Tchad.

De plus, aucune école de formation des professionnels n’existe dans le pays. On dénombre seulement 20 kinésithérapeutes et 10 orthoprothésistes formés à l’étranger. Ces professionnels exercent en majorité à N’Djamena, la capitale, et donc le reste du pays est mal desservi. La présence de professionnels de la réadaptation au niveau hospitalier est presque inexistante, et parfois la réadaptation est mise en œuvre par d’autres professionnels de la santé qui n’ont pas eu de formation adéquate.

En mai 2023, l'Assemblée mondiale de la santé votera une résolution sur l’intégration de la réadaptation dans les systèmes de santé, qui sera la première du genre. Quelle pourrait être l’impact d’une telle Résolution au Tchad ?

Je crois que l’adoption de cette résolution ferait avancer nos efforts de plaidoyer pour la reconnaissance du secteur, car nos projets de réadaptation ne sauraient se pérenniser sans une implication effective et une prise en main par les structures étatiques dédiées et l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS). Au Tchad, cet instrument pourra par exemple stimuler la validation d’une politique nationale de la réadaptation, ainsi que la mise en œuvre de sa stratégie technique.

La réadaptation pourrait aussi être intégrée dans le plan national de développement sanitaire, ce qui permettrait une meilleure appropriation politique et facilitera des allocations conséquentes de ressources (matérielles, financières et humaines) au secteur. Ces ressources sont nécessaires pour relancer le centre national d'appareillage et de rééducation, créer des écoles de formation en kinésithérapie, en appareillage orthopédique, en orthophonie, etc.

De plus, un appui technique de l’OMS serait bienvenu et pourrait avoir un impact bénéfique pour le secteur. Par exemple, un référent réadaptation de l’OMS au Tchad pourrait faciliter la formation et l’échange d’expériences entre les spécialistes de la réadaptation et d’autres acteurs de la santé et appuyer le développement du secteur de façon générale.

Je croise donc les doigts pour que la résolution soit adoptée, mais surtout pour que des actions concrètes soient prises par nos Etats pour garantir l’accès à la réadaptation pour tous et toutes. Et puisque de toutes les façons, tout le monde aura besoin de services de réadaptation au cours de sa vie, il serait bénéfique pour nous tous de préparer le chemin dès maintenant.  

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