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Quand la cuisine collective devient vectrice de cohésion sociale

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Inclusion | République Centrafricaine | PUBLIÉ LE 18 octobre 2023
Un groupe de femmes et d'enfants est installé en cercle, sous les arbres, dans le cadre d'une activité de cuisine.

Mai 2023. Activité de cuisine collective organisée par Judith avec des femmes Gbaya et Pana du village de Boyaye Wantounou. | © HI

Après une décennie de conflit, la méfiance ne cesse de régner au sein des communautés centrafricaines. Pour recréer des espaces apaisés, HI rencontre les habitants et anime des activités collectives.

Rachel Goume, 35 ans, vit dans le village de Boyaye Wantonou, dans le Nord-Ouest de la République Centrafricaine. Au quotidien, cette mère de 11 enfants s’occupe de sa famille et cultive des petits champs agricoles près de son village. Dégradés par des années de conflits, les liens entre communautés se reconstruisent et suscitent le bon vivre ensemble grâce à l’action d’acteurs comme HI. Aujourd’hui Rachel et Judith Mbotouga (une médiatrice sociale de HI) témoignent et racontent comment une activité a fait renaître le dialogue communautaire. 

Une activité qui invite à l’ouverture et au partage d’expériences

Pour reconstruire les liens dans le village de Rachel et aider les habitants à renouer le dialogue, HI a organisé une activité de cuisine collective. Pour Judith qui est médiatrice sociale de HI en RCA, la nourriture et la cuisine sont les bases du vivre ensemble. 

En amont, les équipes HI vont à la rencontre des autorités et leaders communautaires pour leur expliquer le principe de l’activité, puis elles échangent avec les gens de la localité pour recueillir leur ressenti, identifier les besoins et les points de crispations entre ethnies. Cette étape permet de comprendre comment aider au mieux en fonction des problématiques de chaque personne. À l’issue, un groupe est formé avec des membres de plusieurs communautés et après une discussion pour déterminer le menu, une représentante de chaque communauté part faire le marché avec l’équipe HI pour acheter le nécessaire. 

Au début, Rachel était sceptique mais elle s’est laissée prendre au jeu : 

« Je pensais que l’activité était juste pour préparer et manger le repas mais finalement, j’ai compris que cela visait plutôt le vivre ensemble. Nous échangé avec les autres femmes d’abord sur les recettes puis sur nos problèmes du quotidien, sur la vie en communauté avant et après ces évènements. »

L’activité débute par un tour de table où chaque participante se présente et où Judith réexplique pourquoi HI organise ce type de rencontres, puis le groupe échange sur l’importance de la cohésion sociale. Ensuite, le temps est à la cuisine ! Chaque participante contribue à la recette, partage ses astuces et profite de ce moment ensemble où la tension et la méfiance s’estompent petit à petit pour laisser place au dialogue et aux témoignages sur la nécessité de recréer de l’entraide au sein de la communauté. 

« Cette activité permet vraiment de renforcer les liens entre les communautés, du moment où toutes les participantes sont censées travailler main dans la main, en discutant, en chantant et en dansant avant de partager le repas ensemble. Cela permet aussi à des femmes qui ne s’étaient pas parler depuis longtemps, d’échanger un petit peu », souligne Rachel.

Enfin vient le moment du repas, où chacune apprécie ce qui a été préparé par les différentes cuisinières. L’activité prend fin avec un dernier mot pour partager ses impressions, dire ce que cela a apporté et ce qui est souhaité pour la suite.

Des conflits qui abîment les liens sociaux

Intensification de la violence armée, tensions entre communautés, déplacements de populations… La RCA voit sa situation sociale et humanitaire se dégrader au quotidien. 

Pour soutenir ses habitants, Handicap International a mené un projet pour atténuer les troubles psychologiques et contribuer au bien-être des communautés exposées à la violence. En plus du soutien psychologique et psychosocial, le projet repose sur l’organisation d’activités intercommunautaires pour recréer de la cohésion sociale dans la région de l’Ouham-Pendé, très isolée du fait des conflits.

C’est dans ce cadre que HI a rencontré Rachel, dont la vie est très impactée : ses enfants ne peuvent plus aller à l’école, elle n’a plus accès aux terres qu’elle cultivait… En plus de la peur, des risques d’agressions physiques et sexuelles, Rachel témoigne du climat de méfiance entre communautés qui règne au sein de son village : 

« La guerre a eu un impact sur les relations entre les gens. La vie en communauté était bonne avant ces conflits, maintenant, il y a un climat de méfiance. Certains pensent que d’autres sont des criminels et vice versa, des tensions s’accentuent entre les agriculteurs et les éleveurs « bororos », pour l’exploitation de la terre arable. »

Reconstruire la vie sociocommunautaire

Pour HI, il est crucial de rappeler aux communautés victimes de violence qu’une grande partie des dégâts se fait dans la tête et que les traumatismes peuvent être durables. Beaucoup d’habitants témoignent de cette double peine, ils sont nombreux à raconter qu’ils ont perdu la confiance en l’autre, qu’ils se méfient continuellement, qu’ils sont victimes de fausses rumeurs… Ces situations sont épuisantes et ne laissent pas entrevoir d’amélioration. 

« Ces rencontres sont vraiment positives, elles permettent de ne pas figer la situation actuelle comme quelque chose de normal. Même si le contexte ne montre pas beaucoup d’amélioration, rappeler que ça n’a pas toujours été ainsi, cela peut aider à aller mieux et à avoir un peu d’espoir », précise Judith.

Pour l’activité avec Rachel, le bilan est très positif. Au total, ce sont vingt femmes de différentes communautés religieuses et groupes ethniques qui ont participé à cette activité, toutes enthousiastes et avec l’envie de renouveler l’expérience. Lorsque HI lui demande si elle pense qu’il faudrait plus d’activités de ce type, Rachel répond très emballée :

« Si HI peut étendre l’activité, pour organiser un repas communautaire pour impliquer tout le monde plutôt qu’une activité en plus petit groupe, ce serait super. Je suis consciente de la complexité mais je pense que cette activité est un premier terrain d’entente vers l’entraide et des relations plus apaisées. »

D’autres animations pour renforcer la cohésion sociale sont organisées par HI en RCA, qui permettent notamment aux personnes exclues de la communauté de revenir participer à des animations, des activités sportives et de danse au niveau de la communauté entière… 

Judith conclut : « Cela permet souvent à ceux qui ne parlent pas à la suite d’un traumatisme d’apprécier un moment agréable avec les autres. En organisant ces activités, on remarque que les parents qui participent s’encouragent à se confier leurs enfants durant quelques instants. C’est un vrai marqueur de confiance. »


Ce projet, mêlant éducation aux risques des engins explosifs et soutien psychosocial, a été financé par le Fonds Humanitaire et déployé entre mars et août 2023. 4 500 individus parmi les populations les plus exposées de l’Ouham-Pendé en ont bénéficié, dont 2 610 enfants.

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