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En 1982, HI fournissait à Émilie sa première prothèse

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Réadaptation | Cambodge | PUBLIÉ LE 20 février 2023
Émilie Pin Vath en octobre 2022 dans la maison de sa sœur, dans l’Est de la France.

Émilie Pin Vath en octobre 2022 dans la maison de sa sœur, dans l’Est de la France. | © MKE Production / HI

Émilie avait 6 ans quand l’explosion d’une mine antipersonnel au Cambodge lui a arraché le pied. Elle a fait partie des toutes premières personnes appareillées par HI à ses débuts.

Émilie Pin Vath a aujourd’hui 48 ans et vit dans l’Aube, dans l’Est de la France. Elle est née au Cambodge, à Battambang. En 1982, alors qu’elle fuyait l’arrivée des Khmers rouges avec sa famille, elle a perdu sa jambe gauche dans l’explosion d’une mine antipersonnel. Arrivée au camp de Khao I Dang, sa route croise celle des débuts de HI. Émilie a été l’une des premières personnes à être appareillées par l’organisation avec une prothèse en bambou. Elle raconte son histoire.

L’explosion d’une mine antipersonnel

À l’époque, au Cambodge, il y avait la guerre. À cause de l’emprise des Khmers rouges sur le pays, ma famille avait dû fuir son village. C’est ainsi que je me suis retrouvée sur les routes, entre la Thaïlande et le Cambodge.

Un jour, alors que nous cheminions, nous nous sommes arrêtés dans un camp de réfugiés situé près d’un étang. Nous avions fait un long trajet et, comme les autres enfants, j’avais très envie de profiter de la fraîcheur de l’eau. J’ai donc attendu que mes parents s’endorment puis je me suis faufilée dehors pour aller me baigner.

Sur la route de l’étang, nous avons croisé des hommes qui couraient en sens inverse. En passant, l’un d’entre eux m’a poussée et j’ai atterri sur une mine antipersonnel. Il y a eu une détonation assourdissante.

Ensuite, je ne me souviens que d’un voile noir. Je ne voyais plus rien. Quand je me suis réveillée, j’ai vu que je n’avais plus de pied gauche. Il avait été déchiqueté par l’explosion de la mine.

L’arrivée au camp de réfugiés de Khao I Dang

J’ai reçu les premiers soins en urgence mais, pour une véritable prise en charge, je devais me rendre dans un autre camp de réfugiés, en Thaïlande. La route était longue et ma famille m’a portée sur une civière pendant quinze jours à travers la forêt, sans médicaments, sans antidouleurs – rien. Quand nous sommes arrivés au camp de Khao I Dang, j’ai vu qu’il y avait de nombreuses personnes avec des bras ou des jambes en moins ; c’étaient en grande majorité des enfants.

On m’a emmenée au dispensaire, où on a enlevé mes bandages. Ça a duré au moins cinq minutes et je me souviens très bien comme le tissu blanc est soudain devenu tout rouge. Une fois les bandages enlevés, les médecins ont constaté que la gangrène gagnait ma jambe. Ils ont alors décidé de m’anesthésier pour procéder à une amputation.

Je suis sortie du coma un mois plus tard. Avant l’opération, je pensais que l’amputation se ferait au niveau du genou, ce qui aurait été plus facile pour remarcher. Mais en remontant le drap, j’ai réalisé qu’on m’avait amputée plus haut, au niveau fémoral.

Les premières prothèses en bambou de HI

Jean Baptiste Richardier, Mom Sok, Émilie Vath et Marie Richardier, en 1982. © HIDans le camp, il y avait un atelier qui faisait beaucoup de bruit et dès que j’ai pu me déplacer avec des béquilles, je suis allée voir de quoi il s’agissait. Dans l’atelier, il y avait des marteaux, des morceaux de bambou et des tiges de fer. Un des ouvriers m’a vue et il m’a expliqué : « Nous fabriquons des prothèses en bambou pour des enfants comme toi. Elles serviront aux personnes amputées à cause des mines antipersonnel. » Je suis rentrée en courant chez mes parents et j’ai crié : « Maman, il y a un atelier où ils font des jambes ! Pour des enfants comme moi. »

C’est à ce moment-là que j’ai rencontré les fondateurs de HI. Ils étaient venus nous soutenir et, malgré la barrière de la langue, ils formaient des réfugiés à fabriquer des prothèses en bambou.

J’ai dû attendre que ma jambe cicatrise pour essayer ma première prothèse. Au début, ça m’a fait très mal. Rappelez-vous qu’à l’époque, on n’avait rien pour diminuer la douleur. Mais dès que j’ai posé mon pied appareillé par terre, je me suis exclamée « Enfin je peux marcher de nouveau comme les autres ! ». Six mois après avoir été amputée, j’avais de nouveau deux pieds. Malgré la douleur, j’ai mis ma prothèse tous les jours. Avec, j’ai fait du foot en tongs, j’ai joué aux billes et à l’élastique, j’ai dansé sous la pluie… et comme tous les enfants du monde, j’ai fait toutes les bêtises possibles et imaginables.

Vivre sans limites

Émilie en octobre 2022. © MKE Production / HIGrâce à la Croix-Rouge, ma famille a pu s’installer en France en septembre 1982. Les premiers temps ont été très durs. On venait d’un pays avec une culture totalement différente et, à seulement six ans, j’avais été témoin des horreurs indescriptibles de la guerre. J’en garde des souvenirs qui ne m’ont jamais quittée.

En grandissant, mon regard sur ma prothèse a changé. Je croisais des enfants qui n’avaient jamais vu de personne amputée et que ma prothèse obsédait. Ils ne me définissaient qu’à travers elle et ça m’a vraiment marquée.

Heureusement, mes parents m’ont toujours encouragée à ne pas me soucier du regard des autres et à vivre ma vie comme je l’entendais. Grâce à cela, je ne me suis jamais limitée dans ce que je voulais faire. Par exemple, j’ai fait beaucoup de sport : 8 ans de badminton, du ping-pong, du tennis, du foot et de la plongée.

À présent, je vis et je travaille ici, je me suis même fait naturaliser française. Pourtant, plus le temps passe et plus mon autre pays me manque. Aujourd’hui, mon rêve c’est de pouvoir retourner au Cambodge et de m’y installer.

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