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Djadah & Haleema, réfugiées au Tchad : retrouver la solidarité après la violence

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Réadaptation | Urgence | Tchad | PUBLIÉ LE 21 mai 2025
Deux femmes réfugiées sont assises et regardent devant elle.

Tchad, 2024. , Djadah Ali Ismail et Haleema Mohammad Ibrahim Abdullah ont trouvé refuge à l'Est du Tchad après avoir fui la violence dans l'Ouest du Darfour au Soudan. | © T. NIcholson / HI

Djadah et Haleema ont fui la violence qui sévit dans leur pays. Leurs parcours, tristement similaires, sont le reflet de la réalité et de la violence subie par la population au Soudan.

Depuis le mois d’avril 2023, le Soudan est déchiré par une guerre entre les Forces Armées Soudanaises (FAS) et les Forces de Soutien Rapide (FSR). Un climat de violence extrême, notamment dans la région du Darfour, qui plonge la population dans une situation intolérable. Déplacements forcés, insécurité alimentaire alarmante, exactions à l’encontre des civils… La situation humanitaire au Soudan est l’une des plus catastrophiques au monde. Toutes deux réfugiées à l’Est du Tchad pour fuir la violence, Djadah Ali Ismail et Haleema Mohammad Ibrahim Abdullah sont accompagnées par HI et reprennent espoir petit à petit.

Fuir la violence, quoiqu’il en coûte

Djadah et Haleema sont toutes les deux originaires d’El-Geneïna dans l’ouest de la région soudanaise du Darfour. Cette ville, qu’elles ont quittée il y a près d’un an et demi, a été le théâtre de multiples attaques extrêmement violentes, brutales et cruelles, depuis le début du conflit.

Haleema se souvient : le 10 juin 2023, des membres des FSR ont pris d’assaut sa maison et ont tiré une balle dans son buste, une autre dans sa jambe. Sa mère, son fils et son frère aîné ont été tués dans l’attaque, tout comme son cousin qui a été abattu devant elle alors qu’il se cachait dans un tonneau. 
Le scénario est identique pour Djadah qui a reçu une balle dans le haut de la jambe alors qu’elle portait son bébé sur le dos. La maison de sa famille a été attaquée par le groupe paramilitaire, dix de ses proches ont été tués. Alors qu’elle tentait de s’échapper, elle a vu son mari recevoir une balle dans la tête. En s’enfuyant avec son bébé, elle a perdu ses deux autres fils, Nazar et Adam, dans la panique ; elle ne les a pas retrouvés avant de quitter El-Geneïna.

Un voyage éprouvant, une arrivée dans les camps de réfugiés chaotique

Djadah étant gravement blessée elle a voyagé dans une brouette sur la majeure partie du chemin jusqu'à la frontière avec le Tchad, aidée par d’autres personnes qui fuyaient les violences, et a également été prise en stop par des passants. À son arrivée, elle a été emmenée dans un hôpital spécialisé dans le traitement des blessures osseuses dans le camp de réfugiés d’Abéché. 

« Après six semaines de soins pour guérir ma blessure, j’ai retrouvé par hasard mes deux garçons ! J’étais tellement heureuse qu’ils aient réussi à rejoindre le Tchad eux aussi ». 

Aujourd’hui elle vit dans le camp de réfugiés de Farchana, avec ses deux fils et son bébé. Bien qu’elle ait été prise en charge, sa blessure est devenue un handicap physique, Djadah est aujourd’hui contrainte d’utiliser une canne pour se déplacer.

Pour Haleema, la fuite a également été périlleuse… Lorsqu’elle a voulu quitter EL-Genaïna, huit jours après l’attaque, elle s’est aperçue que les blessures de la balle qui l’a touchée à la jambe se sont infectées. 
Des inconnus l’ont aidée à évacuer et l’ont transportée sur une civière de fortune, fabriquée à partir d’un cadre de lit dont les pieds avaient été retirés. Le groupe a traversé des vallées, des wadis très dangereux du fait de la saison des pluies, l’eau leur arrivait parfois à la taille. Haleema raconte :

« Ce fut un voyage terrible. J'ai beaucoup souffert, j'avais désespérément besoin de voir un médecin. Ma jambe commençait à sentir et se décomposait... »

Par chance, après plusieurs semaines de voyage, un homme avec une charrette les a aidés et les a conduits à la frontière. Haleema a été mise à l'ombre d'un arbre pour se reposer avant de traverser la frontière avec le Tchad. Suivre les routes de mauvaise qualité et jonchées de nids-de-poule dans une charrette tirée par un cheval avec un pneu crevé lui a causé encore plus de douleur… Au moment de passer la frontière, le conducteur de la charrette a attaché sa jambe à deux branches d'arbre pour former une sorte attelle et l'a emmenée à l'hôpital de la ville d’Adré, principal point d’entrée des Soudanais au Tchad. Là, les réfugiés sont pris en charge et enregistrés avant d’être orientés vers d’autres camps de réfugiés.

Au total, Haleema est restée cinq mois à l’hôpital d’Adré, avant de pouvoir partir elle aussi dans le camp de Farchana, un camp voisin. Elle se souvient de la confusion, de ne pas vraiment savoir où elle était et des conditions de vie très difficiles à l’hôpital : 

« Il y avait énormément de monde à l'hôpital… Il n’y avait qu’un fauteuil roulant pour toutes les personnes blessées, il nous a donc fallu le partager entre plusieurs dizaines de personnes. Quand nous sommes partis, les équipes de l’hôpital nous ont donné des cannes rudimentaires pour marcher, elles étaient en bois et assez difficile à utiliser mais c’était mieux que rien. » 

Les parcours de Djadah et Haleema témoignent de leurs conditions d’existence très difficiles, marquées par les traumatismes de la guerre, la douleur, physique et psychique, et l’extrême précarité des camps de réfugiés. Après quelques semaines, les deux femmes ont été prises en charge par HI, une rencontre pour adoucir leur quotidien et les accompagner sur le chemin de la reconstruction.

Trouver du réconfort et le transmettre à leur tour

Djadah et Haleema sont toutes les deux suivies par HI dans le cadre de leur rééducation physique et d’un soutien en santé mentale, indispensable pour retrouver leur dignité et plus de sérénité. Djadah raconte : 

« Lors des séances de rééducation, HI m'a appris à bouger à nouveau. J’ai retrouvé le plaisir des choses simples, rien que la possibilité de sortir pour dire « bonjour » à mes voisins a changé ma vie, alors que j'avais l'habitude de rester chez moi tous les jours. Maintenant, je peux leur rendre visite et discuter. »

Haleema a elle aussi bénéficié de sessions de rééducation physique, cela prenait la forme de séances de musculation, d'étirements et d'apprentissage de l'utilisation des cannes. Elle se dit particulièrement reconnaissante envers HI pour les sessions à domicile. Elle précise : 

« Cela a fait une grande différence de recevoir des visites à la maison. Ma vie, et celles de toutes les personnes handicapées, seraient très difficiles sans ces séances de HI. Sans cela, je ne pourrais pas bouger avec ma jambe blessée. »

Comme souvent dans le cadre d’un conflit, il est important pour les survivants de violences extrêmes de partager leur vécu et de recréer un récit collectif pour faire face. Haleema témoigne ainsi de la solidarité qu’elle a trouvé en racontant son histoire avec d’autres personnes handicapées. D’après elle : 

« Les séances de soutien psychosocial, organisées en groupe par HI, ont permis à chacun et chacune de prendre conscience de la manière dont elles et ils allaient vivre le reste de leur vie avec une blessure grave – cela permet de confronter nos idées, nos pensées, de traverser cette situation et d’avancer ensemble »

Djadah, elle, raconte que ces groupes de parole ont également été très importants pour son bien-être personnel. Elle se souvient que lorsqu’elle est arrivée dans le camp il n'y avait rien, que tout le monde était très stressé, qu’elle ne dormait plus la nuit… Et peu à peu, la situation s'est améliorée. 

Le conflit faisant toujours rage au Soudan voisin, de nombreuses personnes continuent de traverser la frontière avec le Tchad pour trouver un refuge. D’après le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR), près de 764 000 réfugiés sont arrivés au Tchad depuis le début du conflit en avril 2023, la plupart sont des femmes et des enfants. Pour Haleema, compte tenu de la situation, il est important de partager les informations qu'elle a apprises : 

« Nous sommes venus au centre HI pour recevoir un soutien, mais HI nous a également appris à transmettre ces informations à d'autres personnes qui ne peuvent pas se rendre aux séances. Nous discutons avec elles pour leur dire d’être patientes, les aider à essayer d'oublier ce qu’il s'est passé au Soudan. Nous leur disons que nous avons beaucoup souffert, tout comme elles, que beaucoup sont dans la même situation... Et qu'elles peuvent discuter avec des personnes qui partagent le même état d'esprit. »

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