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Se remettre en mouvement après un traumatisme - entretien avec une spécialiste de la réadaptation

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Réadaptation | PUBLIÉ LE 14 décembre 2022

© MSF

Bérangère Gohy travaille en tant que spécialiste de la réadaptation chez HI. Elle a coordonné, en partenariat avec Médecins Sans Frontières et l'Institut Karolinska, un projet de recherche visant à évaluer et affiner un outil de mesure de l'indépendance dans les activités de mobilité des personnes ayant subi un traumatisme.

Nous lui avons posé quelques questions sur ce projet de recherche et sa pertinence pour les personnes ayant subi un traumatisme.

Pourquoi est-il important d'évaluer l'indépendance dans les activités de mobilité d'un patient, après un traumatisme ?

Bérangère Gohy Spécialiste en réadaptation chez HILes blessures graves sont fréquentes dans les contextes humanitaires, causées non seulement par la violence, mais aussi par des chutes, des accidents de la route ou du travail. La plupart des patients ont besoin d'une attention médicale immédiate et doivent souvent être opérés. Les plus chanceux parviennent à un hôpital spécialisé ; mais la plupart d'entre eux resteront hors de portée, même pour des soins chirurgicaux. Lorsqu'ils ont accès à un chirurgien, la priorité est principalement de sauver leur vie et leurs membres ; peu d'attention est accordée sur leur reprise des activités de la vie quotidienne par la suite.
Mais les soins de traumatologie ne consistent pas seulement à sauver des vies, il s'agit aussi de faire en sorte que les gens puissent vivre au mieux de leurs capacités, reprendre leurs activités telles que l'éducation, le travail et la vie sociale.
Mesurer l'indépendance du patient dans les activités de la vie quotidienne permet d'encourager une mobilisation précoce et d'améliorer la qualité des soins donnés au patient, en agissant à temps si des difficultés sont identifiées, en mettant en place des programmes de réadaptation adaptés aux besoins du patient et d'autres protocoles médicaux si nécessaire.

Quel a été l'objet de votre recherche ?

Reconnaissant l'importance de mesurer l'indépendance en fonction des contextes, notre recherche visait à évaluer si l'Activity Independence Measure for Trauma (AIM-T) était un outil valide pour une utilisation dans les contextes humanitaires.
L'AIM-T a d'abord été développé en Afghanistan par une équipe de kinésithérapeutes de HI et de MSF, qui ont observé que, même si les besoins de chaque patient après un traumatisme sont différents, ils doivent tous être capables d'effectuer certains mouvements courants dans leur vie quotidienne.
Dans cette optique, l'équipe a identifié 20 mouvements de base. Ceux-ci étaient pertinents à ce moment-là dans cet hôpital afghan et ont été utiles dans la pratique quotidienne de cette équipe particulière de kinésithérapeutes.
Ensuite, l'AIM-T a également été utilisé par d'autres équipes dans d'autres pays. Avant de recommander l'AIM-T pour une utilisation plus large, nous avions besoin d'une confirmation de sa validité et de sa fiabilité : ces 20 mouvements conviennent-ils à tous les patients, de tous les âges, dans toutes les cultures ? L'AIM-T est-il suffisamment facile et rapide pour être utilisé par des équipes surchargées ? L'outil donne-t-il des chiffres fiables d'un thérapeute à l'autre ? Telles étaient les questions à l'origine de ce projet de recherche, qui a été mené dans différents contextes humanitaires (Yémen, Irak, Burundi, Cameroun, République centrafricaine et Haïti).

Quelles sont les conclusions de cette recherche ?

Les données recueillies auprès de 635 patients et les entretiens structurés avec 23 professionnels de la santé et 60 patients, nous ont permis de comprendre comment l'AIM-T devrait être amélioré.
L'outil a été raccourci, passant de 20 à 12 mouvements de base, afin d'être mieux adapté à des contextes où le temps et les ressources sont limités.
En outre, certains des mouvements de base de l'outil ont été révisés. Par exemple, “mettre un pantalon", qui faisait partie de l'outil initial, mettait certains patients mal à l'aise et n'était donc pas souvent évalué. Il a été remplacé par "atteindre le bas du dos et saisir les vêtements", ce qui est considéré comme plus approprié tout en continuant à évaluer la capacité du patient à utiliser ses bras et ses mains lorsqu'il s'habille.
Cette étude a montré que la version révisée de l'AIM-T est désormais adaptée à différentes cultures, rapide et fiable. Par conséquent, elle peut être utilisée dans des contextes humanitaires différents.

De quelle manière cette étude peut-elle avoir un impact sur la prestation des soins et sur les personnes dans le besoin ?

Je pense que l'histoire de Ramin illustre bien l'impact sur les personnes. Je l'ai rencontré lors de mon premier jour en tant que kinésithérapeute pour HI dans le centre de traumatologie de Médecins Sans Frontières à Kunduz, en Afghanistan, en 2011. Ramin, 10 ans, est entré dans la salle de consultation tenu dans les bras de son père. Il avait été opéré à l'hôpital quelques semaines auparavant, après une blessure par balle à la jambe. La plaie était propre et, selon l'avis médical, il n'y avait plus besoin de suivi supplémentaire. Pourquoi Ramin ne marchait-il pas, comme il aurait dû le faire à ce moment-là ? Il s'est avéré que personne ne lui avait dit qu'il pouvait bouger sa jambe en toute sécurité, ni se lever et marcher. Il avait probablement mal et avait peur de se blesser à nouveau, alors il est resté au lit.
L'utilisation de mesures, comme l'AIM-T, pour évaluer rapidement l'indépendance dans les activités quotidiennes, peut éviter à d'autres patients de vivre une expérience similaire à celle de Ramin, et éventuellement améliorer leur rétablissement après une opération, en les encourageant à se mobiliser plus tôt.

 


Vous voulez en savoir plus ?

Bérangère Gohy a co-écrit cet article scientifique qui vient d'être publié dans PLOS Global Public Health : Monitoring independence in daily life activities after trauma in humanitarian settings: Item reduction and assessment of content validity of the Activity Independence Measure-Trauma (AIM-T)
 

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