Xavier Emmanuelli a été l’un des pères de l’humanitaire de la fin du XXe siècle, un de ces “French Doctors” qui, à peine leurs études terminées, se battirent sur le terrain contre les pires injustices humaines.
Handicap International salue la mémoire de cet homme à la vision humaniste et à l’engagement inaltérable, et présente ses sincères condoléances à ses proches.
Deux anciennes figures de Handicap International nous ont transmis quelques mots pour lui rendre hommage à la suite de son décès le 16 novembre 2025.
Philippe Chabasse, ancien codirecteur de Handicap International et coordonnateur de la Campagne internationale pour interdire les mines :
« J’ai rencontré Xavier Emmanuelli pour la première fois en 1981 à Bangkok. Jeune coordinateur du programme de Médecins Sans Frontières auprès des réfugiés cambodgiens et laotiens, j’étais impressionné de recevoir cet important personnage, cofondateur de Médecins sans Frontières dix ans plus tôt. Ce qui m’a frappé d’emblée, c’est sa capacité à créer un contact immédiatement très personnel, direct, sans artifice. Plus de hiérarchie, plus de différence d’âge ou d’expérience, juste une relation d’égal à égal.
Quinze ans plus tard, il avait mis l’interdiction des mines antipersonnel dans ses priorités ministérielles. C’est lui qui a convaincu Jacques Chirac de la justesse de l’interdiction de ces “armes d’un autre âge”. C’est lui qui m’a appelé un soir de mars 1995 pour m’annoncer qu’il avait obtenu l’interdiction de fabrication des mines par la France. C’est lui qui s’est battu pour que notre pays rejoigne le processus d’Ottawa. Nous nous sommes ensuite régulièrement croisés autour des questions, plus nationales, du mal logement ou du vieillissement.
Au fil des années, j’ai compris que cette relation s’est maintenue sur la base d’un profond respect mais surtout sur la confiance. Confiance dans la justesse de ses intuitions, de ses analyses et de ses combats. Xavier était un être profondément humain avec ses enthousiasmes, ses gros moments de déprime ou ses magistrales colères. Une personnalité qui va tellement nous manquer à un moment où se déconstruisent progressivement nombre des repères éthiques et politiques qui ont façonné notre génération. »
Palais de l'Élysée, septembre 1998. Autour du Président Jacques Chirac, de gauche à droite : Philippe Chabasse, Xavier Emmanuelli, Patrick Segal (en fauteuil roulant), sa femme Hélène et son fils Victor, Susan Walker et Jean-Baptiste Richardier.
© Présidence de la République, 26 septembre 1998
Jean-Baptiste Richardier, cofondateur de Handicap International et ancien Directeur général de l’association :
« En matière de fraternité et de lutte contre l’injustice, Xavier Emmanuelli ne détestait rien de plus que la tiédeur ! Infatigable pourfendeur de l’inhumanité quel qu’en soit le visage, son goût pour la castagne se faisait infinie tendresse au contact des blessures de la vie, celles de ses patients comme des prisonniers de Fleury-Mérogis, celle des SDF comme des personnes migrantes. La fondation de MSF lui avait simplement permis d’élargir à tous les oubliés de la terre la focale de son inépuisable concernement. À l’évidence, la toute jeune association Handicap International ne pouvait que bien s’entendre avec un homme de cette trempe !
Alors tout jeune médecin en Thaïlande, ma première rencontre avec Xavier Emmanuelli remonte à février 1980 lors de la “Marche pour la survie du Cambodge”. Mon épouse Marie, à l'époque logisticienne pour Médecins sans Frontières dans les camps de réfugiés sur la frontière thaïlandaise, avait été chargée d’organiser l’hébergement des 150 personnalités participantes, déterminées à témoigner du blocus de l’aide par les Vietnamiens.
Autre souvenir marquant, celui de l’appel à l’aide désespéré qu’il lancera des hauts plateaux d’Anatolie, dénonçant avec véhémence l’inertie internationale face à l’exode de centaines de milliers de Kurdes, pris en tenaille entre l’Irak et la Turquie et massacrés par Saddam Hussein.
Mon plus beau souvenir restera celui de notre première rencontre, qui a scellé ma détermination à ne jamais accepter les divers visages de l’inhumanité. Sa voix et ses colères vont nous manquer ! »
Dans sa préface du magnifique album “ESPOIR”, regroupant des photographies réalisées par quatre grands reporters sur les actions de l’association, Xavier Emmanuelli écrivit il y a 30 ans ce joli texte pour Handicap International, que nous reproduisons ici :
« Une certaine idée de l’aide humanitaire.
Saturée d’images, ballottée d’un continent à l’autre au gré d’une actualité tragique, sommée de croire à une analyse partielle – donc partiale – des évènements, l’opinion publique, tour à tour, sait s’enflammer pour l’action humanitaire ou dénigrer ses acteurs.
Handicap International est de ces organismes qui œuvrent dans des conditions difficiles, au cœur du malheur, et changent les destinées des hommes.
Si ses volontaires sont animés par l’enthousiasme de leur engagement, ce sont surtout des hommes et des femmes qui, outre la compassion et le dévouement, ont un savoir technique et une formation qui font leur spécificité. Ils mènent des actions de terrain qui s’adressent non à des foules mais à des individus, des hommes à l’unité, pour leur permettre, après qu’ils ont été amoindris, blessés, mutilés, de reprendre leur place dans la vie de tous les jours ; cette vie faite de petits riens, d’actes quotidien et qui leur avait été volée.
Une technique et une expérience qui remettent les gens debout, rendent leur avenir aux enfants, et cela en dehors de tout échange commercial, au nom de la dignité et de la solidarité.
C’est de ces valeurs qu’est porteur Handicap International, ce genre de valeur qui nous permettent de garder l’espoir. »
Xavier Emmanuelli – février 1995
