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« Les armes les plus sophistiquées, mutilantes et destructrices que j’ai vues »

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Réadaptation | Réduction de la violence armée | Urgence | Ukraine | PUBLIÉ LE 28 septembre 2022
Dégâts à Kiev après la chute d'un missile dans la nuit sur un centre commercial et son parking. Mars 2022.

Dégâts à Kiev après la chute d'un missile dans la nuit sur un centre commercial et son parking. Mars 2022. | © V. de Viguerie / HI

Gaëlle Smith, spécialiste HI de la réadaptation d’urgence, s’est rendue en Ukraine il y a quelques mois pour soutenir les équipes locales sur le terrain. Elle témoigne de son expérience.

« Je suis allée en Ukraine pour soutenir une requête que nous avait adressé un hôpital régional situé à Dnipro. Il leur fallait un spécialiste pour accompagner leurs professionnels de la réadaptation dans le traitement des blessés de guerre, c’est-à-dire des patients polytraumatisés par une explosion, durant les premiers stades de leur prise en charge. »

Le voyage vers l'Ukraine

« En qualité de spécialiste de la réadaptation, je sais comment me préparer avant de me rendre dans une zone de conflit pour un déploiement d’urgence, car j’ai déjà travaillé dans des contextes similaires. Je sais que je peux compter sur le soutien sans faille de la division d’urgence de HI ainsi que de mes collègues, de ma famille et de mes amis. Mais pour la réalité que j’ai dû affronter en arrivant en Ukraine, lorsque j’ai pleinement réalisé ce que les civils avaient enduré et continuent de vivre nuit et jour, eh bien pour ça, il n’existe aucune préparation. » 

« C’est en passant la frontière entre la Roumanie et l’Ukraine que j’ai commencé ma prise de conscience. D’avoir regardé l’actualité depuis le Royaume-Uni, je savais que les gens faisaient la queue pendant des jours pour quitter le pays, et je m’étais demandé ce qu’ils pouvaient bien penser et ressentir, sachant que la plupart des hommes restaient dans le pays. Je m’étais demandé si j’en serais capable, et comment je me sentirais. Pourrais-je vraiment partir en laissant mon père derrière moi ? Voir mes beaux-frères devoir quitter leur famille... Et nous, devoir partir, sans savoir ce qu’il adviendrait d’eux ? »

« Notre périple a continué par la route, traversant ainsi Dnipro, les postes de contrôle devenant de plus en plus nombreux à mesure que nous avancions vers l’est. »

« La réalité implacable de la guerre »

« Dans notre progression sur le territoire ukrainien, ce qui m’a frappée, c’était le contraste entre les villes et les villages capables de continuer leur vie, malgré le risque permanent d’être attaqués, et les localités véritablement passées en mode survie face à la réalité implacable de la guerre. Je ne pouvais pas m’empêcher de penser à ma ville natale, en Écosse, où nous vivons paisiblement en toute sécurité sans avoir conscience de notre chance. J’ai le plus grand respect pour la résilience de ces populations touchées par la guerre. »

Dnipro, la ville où Gaëlle allait travailler, est devenue un centre logistique pour l’aide humanitaire, ainsi qu’une ville d’accueil pour les personnes fuyant les combats. Elle est située à peu près à la même distance de la plupart des zones de combat : Donetsk, Marioupol, Kherson et Kharkiv se trouvent toutes dans un rayon de 350 km. En conséquence, les services de santé de Dnipro subissent une pression énorme.

Les hôpitaux sont submergés par les besoins

« L’hôpital dans lequel je suis intervenue possède 11 blocs opératoires, avec le personnel nécessaire. Ces blocs fonctionnent tous sans interruption en raison du flot continu d’ambulances chargées de patients blessés arrivant des différents fronts, ainsi que d’autres régions continuellement bombardées. Autour de moi, toutes les équipes faisaient preuve d’un haut niveau de compétences, de connaissances et d’engagement, dans tous les aspects des soins aux patients. Cependant, le nombre croissant de patients poussait le personnel à travailler toujours plus, sans prendre les pauses pourtant indispensables. Le soutien de HI pour fournir du personnel de réhabilitation et le matériel médical nécessaire a été plus que bienvenu, et pour ma part, j’ai tout de suite été accueillie et intégrée à l’équipe comme faisant partie intégrante de l’hôpital. »

« L’un des risques auxquels les équipes doivent faire face est le burnout. Le rythme effréné du travail à accomplir, sa complexité et sa quantité, ne leur laissent aucun répit. Les sirènes retentissent nuit et jour pour prévenir d’un éventuel bombardement. Tous les membres de l’équipe pensent constamment à leur propre sécurité et à celle de leurs collègues, ainsi qu’à la sécurité des patients et de la communauté tout entière. Dans ces conditions, comment se reposer et recharger ses batteries ? »

« En général, cet hôpital compte 750 lits, toutes spécialités confondues. Depuis la fin du mois de février, d’autres lits ont été ajoutés, certaines gardes ont été réaffectées, et certains services ont été déplacés vers d’autres hôpitaux plus petits. L’établissement compte désormais plus de 1 000 lits, tous occupés par des patients blessés ou tombés malades en conséquence de la guerre. »

La réadaptation précoce est vitale pour les blessés de guerre

« Les déflagrations d’armes explosives entraînent pour la population des risques de blessures multiples et variées. Tout d’abord, la pression générée par l’explosion peut avoir un impact sur les poumons, les oreilles, les yeux et les intestins. Puis l’explosion en elle-même et les éclats d’obus peuvent causer des fractures et diverses blessures pouvant nécessiter une amputation. Après une explosion, les corps projetés peuvent souffrir de traumatisme cérébral ou de lésion de la moelle épinière. Enfin, la fumée, la poussière et les produits chimiques respirés peuvent entraîner des brûlures cutanées et des lésions des voies respiratoires. À Dnipro, les patients présentaient tous un mélange de ces types de blessures. Certaines blessures peuvent déjà à elles seules être très graves, mais quand elles associées à d’autres, on se retrouve face à des cas très compliqués. »

« Chez les patients blessés de guerre, commencer la réadaptation à un stade précoce[1] de même que la poursuivre est absolument vital. Commencée rapidement, la rééducation fonctionnelle favorise le rétablissement et la cicatrisation, et prévient les complications. Il est essentiel d’accompagner dès le premier jour les patients (ainsi que leurs proches et leurs soignants) ayant besoin d’une réadaptation. Il faut leur expliquer la nature de leurs blessures et ce qu’elles impliquent pour le présent, et éventuellement pour l’avenir. HI fournit aussi un soutien psychologique et psychosocial car aider les personnes touchées sur le plan émotionnel et psychique est tout aussi important, y compris pour leur réadaptation. »

Des civils sont blessés chaque jour

« Les armes utilisées en Ukraine touchent tout le monde et sont les plus sophistiquées, les plus mutilantes et les plus destructrices que j’ai jamais vues. En Ukraine, les hôpitaux, les professionnels de santé et de réadaptation, et toutes les structures de soins font un travail incroyable, mais c’est un crève-cœur que de les voir manquer de ressources pour soigner tous les civils blessés. Chaque jour, d’autres blessés arrivent et cela ne s’arrêtera pas avec la fin de la guerre, mais seulement avec la neutralisation de tous les engins explosifs sur le territoire. »

Les équipes de HI en Ukraine aident les personnes les plus vulnérables touchés par le conflit, y compris les personnes blessées, handicapées, âgées, ou souffrant d’une maladie chronique. Nos activités incluent les soins de réadaptation d’urgence, l’accompagnement psychologique et le soutien psychosocial, et incluront également bientôt des sessions d’éducation aux risques afin de prévenir les accidents liés aux engins explosifs.

Notre action vitale n’est possible que grâce à nos généreux soutiens.


[1] La réadaptation précoce consiste à intervenir très tôt afin d’offrir aux patients le meilleur résultat possible. Elle se concentre sur l’optimisation de la fonction et de la mobilité afin de prévenir une détérioration de l’état de santé et de réduire le handicap. Elle vise à favoriser le rétablissement afin que les patients puissent reprendre leurs activités quotidiennes. Au cœur de cette approche, se trouve la prise en compte de l’environnement et du bien-être psychosocial du patient dans les soins prodigués. Pour en savoir plus

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