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Philippe Chervin

 

Pourriez-vous décrire votre parcours professionnel au service des personnes handicapées ?

Après une quinzaine d’années passées sur le terrain avec Handicap International, je suis arrivé au siège de l’organisation au début des années 2000. À l’époque, de nouveaux domaines techniques d’intervention commençaient à faire leur apparition au-delà du cœur de métier initial de l’organisation. Ainsi, les secteurs liés à la santé, à l’emploi et à l’éducation sont venus s’ajouter à la réadaptation, participant à une logique plus transversale et à une prise en compte plus forte de l’environnement. Tout d’abord, j’étais en charge de la réadaptation à base communautaire, puis je me suis occupé d’un nouveau domaine nommé «Droits et politiques du handicap». Le champ d’action de ce domaine concernait, entre autre, le renforcement des capacités des associations de personnes handicapées, afin de constituer une sorte de contre-pouvoir capable de faire pression sur les États, afin qu’ils garantissent le développement et la pérennité des services et plus largement l’accès aux droits. D’un autre côté, cette militance associative contribuait à promouvoir le développement inclusif en apportant une grande attention au niveau local.

Comment avez-vous eu connaissance du processus qui a donné naissance à la Convention ?

J’avais été mis au courant des discussions préparatoires de façon informelle par un ancien collaborateur d’HI qui avait obtenu l’information de connaissances officiant au Haut-Commissariat des Droits de l’Homme. J’ai ensuite participé à la première réunion du comité ad hoc pour y réaliser une sorte de mission exploratoire, afin de dégager des pistes d’action pour HI. Très vite par la suite, le positionnement du domaine technique Droits et politiques du handicap a permis de s’impliquer dans ce processus qui s’est développé en lien avec certains programmes. Au niveau international, le domaine avait des contacts avec l’IDDC qui regroupe des ONG internationales intervenant dans le domaine du handicap, alors que l’International Disability Alliance (IDA) qui regroupe les Organisations internationales de personnes handicapées n’en était qu’à ses débuts (sous le nom de « International Disability Caucus »).

La question relative aux droits des personnes handicapées sur la scène internationale avait commencé à se poser lors de la Décennie des Nations Unies pour les personnes handicapées, entre 1983 et 1992. Elle avait débouché en 1993 sur l’adoption des Règles pour l’égalisation des chances des personnes handicapées. Ces règles n’avaient pas de valeur obligatoire et n’étaient pas contraignantes pour les États. Comme nous avions souhaité situer l’action du nouveau domaine technique Droits et politiques du handicap en lien avec un cadre conceptuel qui inclue, outre les Règles standard, le Processus de Création du Handicap et la Classification Internationale du Fonctionnement de l’OMS, nous avions posé les bases pour une implication dans le processus de la Convention.

Quelle est la part de participation de votre organisation dans le processus de rédaction de la Convention ?

De retour de mon premier travail à New York, nous avons dégagé deux axes de travail. Le premier s’est matérialisé sous la forme du projet Sud, élaboré avec le programme HI d’Amérique Centrale et ses partenaires, visant à soutenir la participation de leaders d’Organisations de Personnes handicapées (OPH) du Sud au processus d’élaboration de la Convention. Ce processus était alors fortement dominé par une importante présence de représentants anglais, américains et des pays nordiques. Concernant le deuxième axe de travail, Handicap International s’est impliqué, aux côtés de l’International Disability and Development Comsortium (IDDC), pour nourrir une démarche de plaidoyer visant à promouvoir la prise en compte du handicap dans les actions de développement suivant une dynamique de mainstreaming. L’idée était que la question du handicap ne soit pas prise en charge par des secteurs spécifiques, mais qu’elle soit posée de manière transversale pour imprégner l’ensemble des politiques de développement. Cet apport a été particulièrement tangible au niveau de l’article 32 qui porte sur la coopération internationale, et de l’article 11 traitant de l’action humanitaire.

HI s’est aussi impliquée sur plusieurs fronts au sein de l’International Disability Caucus (IDC), l’organisme chargé de porter la voix des organisations de personnes handicapées au sein du processus de rédaction de la Convention. Tout d’abord, nous avons traduit les comptes rendus des négociations en français. Nous avons également assuré le secrétariat de l’IDC avec du personnel d’Handicap International. Toutes ces tâches de retranscription, synthèse et secrétariat étaient d’un enjeu crucial pour permettre au Caucus de travailler efficacement et de bâtir en son sein une voix unifiée.

Comment s’est déroulée la mise en œuvre de ces actions ?

La participation d’Handicap International au processus de rédaction de la Convention a été rendue possible par une dynamique associant principalement le domaine Droits et politiques du Handicap avec des programmes impliqués dans le soutien au mouvement des personnes handicapées dans leurs pays et région. Pour la mise en œuvre du projet Sud par exemple, ce sont les programmes qui ont identifié des leaders : notamment Sanna Laitamo pour l’Amérique latine, Alexandre Cote pour l’Europe de l’Est et Muhanad Al-Azzeh au Moyen-Orient. La plupart des personnes qui ont été impliquées avaient déjà derrière elles une forte pratique militante. Elles ont suivi des formations préparatoires concernant le processus de la Convention avant leur départ et, une fois sur place, elles ont participé aux réunions de l’International Disability Caucus (IDC). Ces réunions étaient organisées en marge des sessions officielles. Par ailleurs, les représentants du projet Sud se réunissaient également entre eux. Ces leaders venus du Sud se sont vite intégrés dans le mouvement global des personnes handicapées, et leur participation a enrichi les débats de façon indéniable, permettant de faire entrer la notion de développement dans l’agenda des discussions. La participation de ces leaders était d’autant plus importante qu’une fois de retour dans leurs pays, on leur a confié la tâche d’expliquer à la société civile le contenu et les enjeux de cette nouvelle Convention.

Quelles ont été les étapes qui ont suivi la ratification de la Convention ?

Si la Convention a été élaborée et promulguée à l’échelle globale, il a fallu ensuite se concentrer au niveau national pour envisager sa ratification et sa mise en œuvre. L’étape suivante pour HI a donc été de créer des outils pour former des acteurs nationaux chargés de faire connaître la Convention et de solliciter les États pour sa prise en compte. Le processus a été rapide et la Convention a été ratifiée en temps record (deux ans à peine). Par ailleurs, HI s’est également investie, en collaboration avec l’International Disability Alliance (IDA) qui est la Fédération mondiale des organisations de personnes handicapées, dans la réalisation d’outils pour guider la production des rapports alternatifs élaborés par la société civile. L’objectif de ce travail est de contrebalancer le rapport officiel produit et présenté par les gouvernements des États-membres devant le comité de suivi de la Convention à Genève. Handicap International a également participé aux conférences des États-Parties qui se tiennent chaque année à New York où les États et la société civile échangent sur les bonnes pratiques et les processus de mise en œuvre de la Convention. Sur ce point, un des apports de HI a été la création du projet Making it Work visant à collecter des exemples de bonnes pratiques de mise en œuvre de la Convention, en illustrant le lien fort entre le texte de la Convention et les programmes concrets de développement.

Que vous inspire le texte qui a été produit ?

La Convention ne crée pas de nouveaux droits particuliers pour les personnes handicapées, mais son objectif est de mettre à jour des mesures spécifiques permettant aux personnes handicapées de jouir pleinement de leurs droits humains. Le texte final produit en 2006 est d’une grande qualité, énormément influencé par le mouvement des personnes handicapées. Il marque une rupture par rapport à une approche médicale et paternaliste du handicap, il accorde une part importante aux personnes handicapées et à leurs organisations dans toutes les décisions les concernant. Les apports de la Convention sont doubles. Sur un plan juridique tout d’abord, le texte permet de donner une visibilité aux personnes handicapées dans le système des Nations Unies pour les droits de l’Homme. Il s’agit d’une reconnaissance importante. Sur un deuxième plan, le cadre conceptuel posé par la Convention est aussi un outil pratique à mettre en relation avec des problématiques rencontrées par les personnes handicapées, liées à des actions concrètes. En ce sens, la Convention n’est donc pas un objet de pensée abstrait. Elle pose clairement un cadre, une façon de comprendre des problématiques en lien avec des actions concrètes pour chacun des articles.

Cela ouvre aussi la possibilité d’accéder à davantage de programmes d’agences des Nations Unies et de bailleurs institutionnels sur la thématique du handicap en contribuant à une prise en compte du handicap dans l’ensemble des thématiques liées au développement (dynamique de mainstreaming).

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