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Pamela Molina

 

Pouvez-vous décrire la situation des personnes handicapées au Chili avant la Convention ?

Avant la Convention, je vivais et travaillais au Chili où je présidais une organisation de personnes atteintes de déficience auditive, appelée “Real Citizenship of Deaf people from Chile”. Nous étions bénévoles et luttions pour que les personnes souffrant de troubles auditifs aient véritablement accès aux droits culturels. A cette époque, il n’y avait pas d’interprètes professionnels au sein de l’appareil scolaire ni à la télévision publique pendant les bulletins d’informations, l’accès à la citoyenneté était refusé aux sourds-muets. Bien sûr, il existait la loi de 1994 sur le handicap concernant l’intégration sociale des personnes handicapées. Un de ses articles insistait sur la nécessité de traduire les actualités télévisées en langage des signes et de donner accès aux informations d’intérêt public aux personnes ayant une déficience auditive. Mais il n’était pas appliqué, étant donné qu’il n’existait pas de mécanisme de suivi ni d’instructions pratiques pour la mise en oeuvre de cette loi. En conséquence, nous avons rejoint un forum de la société civile pour la défense des droits des citoyens et avons engagé une poursuite judiciaire à l’encontre du Conseil de la Télévision nationale au motif qu’il ne s’était pas conformé au dit article en 2001. Maria Soledad Cisternas nous a aidés à présenter cette requête devant la Cour. À cette époque, elle travaillait à l’université de Diego Portalès; c’était avant qu’elle ne soit présidente du comité pour le droit des personnes handicapées. La demande a d’abord été approuvée et un délai de 15 jours fut accordé aux chaînes de télévision pour inclure des interprètes de la langue des signes dans leur programme d’informations quotidien en 2002. Elles ont fait appel et la Cour a finalement rejeté la demande pour un motif de forme. Nous avons alors consulté d’autres organisations de sourds et d’handicapés en général avec lesquelles nous avons collaboré dans le but de sensibiliser et de créer une mobilisation. Quand nous avons dit vouloir faire appel devant la cour suprême inter-américaine, le gouvernement a fini par appeler à une négociation qui a duré 6 mois et a abouti à la présence d’interprètes de la langue des signes aux informations quotidiennes en 2002. Tout cela a été rendu possible grâce à la mobilisation sociale et aux alliances nouées avec d’autres organisations du mouvement des personnes handicapées.

Comment en êtes-vous venue à participer à des actions en lien avec la situation des personnes handicapées à l’échelle régionale ? Quelle était la situation à cette époque ?

À la suite du processus que je viens de décrire, notre organisation a été invitée à faire partie du Réseau interaméricain d’associations de personnes handicapées et de leurs familles, le RIADIS. C’est ainsi que je me suis engagée dans la défense des droits des personnes handicapées au niveau régional. À cette époque, la plupart des pays d’Amérique latine avaient déjà une loi pour l’inclusion des personnes handicapées ou bien étaient en train de l’élaborer. Mais la plupart de ces lois n’étaient pas mises en oeuvre parce que – comme c’était le cas au Chili – il n’existait pas de mécanismes de suivi. En outre, beaucoup s’inspiraient du paradigme médical, qui envisageait le handicap du point de vue de la santé et de la rééducation. À un autre niveau, il y avait la Convention interaméricaine pour l’élimination de toutes les formes de discrimination contre les personnes handicapées de l’Organisation des Etats Américains, qui datait de 1999. Elle s’inspirait d’une méthode médicale, mais en même temps, prônait une perspective de non-discrimination et d’inclusion sociale. Telle était la situation quand le comité ad hoc a débuté.

Comment vous êtes-vous engagée dans le processus d’élaboration ?

Sur Internet, j’ai appris que le processus d’élaboration de la Convention était en cours et qu’il existait des possibilities de financements pour permettre à la société civile d’y participer. J’ai donc rempli le formulaire de candidature et ai été acceptée. Lorsque je suis arrivée, les questions de droits humains m’étaient familières mais je ne connaissais rien du tout au système des Nations unies et ne savais pas comment se déroulaient habituellement les négociations. De plus, le fonds de solidarité ne prévoyait pas la présence d’un interprète. Comme je souhaitais avoir accès à des informations et comprendre tout ce qui se passait, je me suis connectée à la liste en ligne “Disability and Human Rights“que j’avais découverte grace à RIADIS. C’est ainsi que j’ai fait la connaissance de Luis Fernando Astorga et de Silvia Quan, et comme je savais lire sur les lèvres, ils m’ont donné de précieuses explications sur le protocole et l’ensemble du processus. Ils m’ont invitée à les accompagner aux réunions de l’International Disability Caucus qui se tenaient tous les jours à 6 heures du matin. J’ai été invitée à rejoindre le projet Sud lorsqu’il a été conçu. Ceci m’a donné la possibilité de rencontrer d’autres responsables d’Amérique que je ne connaissais pas pour la plupart. En fait, j’avais tout simplement tracé ma route avec ma demande au fonds de solidarité.

Quelles étaient vos attentes ?

J’attendais avant tout que l’on m’assure que les droits des personnes handicapées, et en particulier des sourds, seraient garantis. La communauté des sourds n’a accès à quasiment rien, même pas à des interprètes pour traduire ses discours et exprimer ses préoccupation. Je voulais également influencer les choses. Je voulais donc représenter la communauté des sourds pour m’assurer que nos intérêts seraient pris en compte dans l’agenda global. Je ne savais pas grand-chose du système des Nations unies, je n’étais pas certaine d’avoir un fort impact sur le processus d’ensemble. Je croyais que c’étaient les gouvernements et les délégués des pays qui prenaient les décisions, même s’ils ne s’y connaissaient pas bien en matière de handicap. Mais en même temps, j’avais la volonté farouche de changer les choses et de faire tout mon possible pour garantir nos droits. Je me sentais plus forte à l’idée d’appartenir à une communauté et nous passions la nuit à nous mettre d’accord sur ce que nous voulions obtenir par l’intermédiaire de l’International Disability Caucus. J’espèrais aussi que le processus de négociation prendrait en considération la situation des pays en voie de développement, où la pauvreté, l’exclusion et la pénurie de ressources sont particulièrement élevées. Avant le projet Sud, l’IDC n’était constitué que d’associations de pays développés, Europe, Canada. Les pays en voie de développement n’y étaient pas représentés, ni l’Amérique latine, ni les Caraïbes, ni le Moyen-Orient. Cette voix manquait aux débats. Le fait que l’anglais soit la langue majoritairement parlée constituait également un obstacle pour les personnes venues de pays en voie de développement, dans lesquels rares sont les personnes qui ont le privilège de parler anglais.

Quels changements vous a apportés la Convention au niveau personnel ? à une échelle plus globale ?

D’un point de vue personnel, le processus m’a appris beaucoup sur la législation internationale, les droits humains et sur le système des Nations unies. À partir de là, je me suis spécialisée dans le droit des personnes handicapées et j’ai obtenu un master à Chicago sur le handicap et le développement humain. Dans mon travail au sein de l’organisation des États américains, j’essaie d’utiliser mes connaissances acquises au cours du processus d’élaboration pour travailler sur les droits des personnes handicapées dans les pays en voie de développement. Ainsi, le projet Sud a non seulement réussi à responsabiliser les dirigeants du Sud, il a aussi créé chez eux un savoir-faire professionnel. Nous avons également acquis la certitude que les choses peuvent changer, que la société civile peut changer le cours de l’histoire; ce qui est un défi pour la vie. Au plan général, la Convention a permis aux gens de comprendre que le droit des personnes handicapées ne se limite pas à une question de santé et de réhabilitation. Cela a entraîné un changement de paradigme, soulignant la nécessité d’harmoniser les codes civils encore profondément influencés par le point de vue médical. Il reste encore des choses à faire et le mouvement des personnes handicapées au niveau régional s’emploie à traiter ces questions. Tous les responsables qui se sont rencontrés là-bas continuent de travailler ensemble. Beaucoup d’entre eux sont aujourd’hui membres du comité. Maria Cisterna est maintenant Rapporteur Spécial. Finalement, le processus d’élaboration dans son ensemble aura permis de responsabiliser les experts et les leaders qui aujourd’hui sont en train de changer le cours de l’histoire des Nations unies.

Quels enseignements en avez-vous tirés ? Quels sont les défis qui restent à relever ?

L’une des principales leçons que j’ai tirées de la Convention est la nécessité de toujours inclure le mouvement des personnes handicapées sur un pied d’égalité avec les aures. Si la Convention est un aussi bon instrument, c’est sans aucun doute dû à la participation de la société civile. Le changement de paradigme est venu de la société civile qui a démontré là qu’elle pouvait jouer un rôle proactif en avançant de bonnes propositions. Le défi est de s’assurer que rien de l’agenda de développement 2030 ne puisse se faire sans inclure les personnes handicapées. C’est une chose que certaines personnes ont encore du mal à comprendre car beaucoup pensent qu’il est nécessaire d’avoir des plans et des lois spécifiques pour traiter du handicap. 

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