Go to main content
 

Luis Fernando Astorga

 

Pouvez-vous nous dire comment vous vous êtes engagé dans le mouvement des personnes handicapées ?

Je souffre d’un handicap moteur acquis en 1986 à la suite d’un très grave accident de voiture qui m’a laissé amputé de la jambe droite et avec une limitation fonctionnelle de la jambe gauche. Depuis lors, je suis cloué au fauteuil roulant. J’ai été responsable d’organisations sociales et politiques et ai travaillé pendant 10 ans pour le CODEHUCA, une association d’Amérique centrale spécialiste des droits humains, à une époque où l’Amérique centrale vivait une situation critique de guerre. À la fin des années 90, avec un ami, Federico Montero Mejía, qui travaillait pour l’Organisation Mondiale de la Santé, nous avons lancé le Forum pour les droits des personnes handicapées qui s’est tenu en 1999 au Costa Rica. J’avais déjà eu auparavant des activités en rapport avec les droits des personnes handicapées, mais c’est réellement à partir du Forum que j’ai commencé à m’engager pleinement. Les principes du Forum constituaient une avancée, très similaire à ce qui allait devenir plus tard la Convention. Nous étions des précurseurs car à cette époque, il était vraiment très rare de parler des droits des personnes handicapées en tant que tels.

Comment avez vous été impliqué dans le processus d’élaboration de la Convention ?

En 2001, j’ai contacté Rosângela Berman Bieler. Elle était alors présidente de l’institut interaméricain sur le handicap que j’ai rejoint pour travailler avec elle. Cette même année, en septembre, le Mexique a proposé l’élaboration d’un traité international sur les droits des personnes handicapées lors d’un sommet mondial contre le racisme, l’intolérance et la discrimination, qui se tenait à Durban en Afrique du Sud. La proposition a été acceptée mais le Mexique a dû affronter une grande résistance, principalement de la part des pays développés, à lancer ce processus. Ils ont pris contact avec l’Institut interaméricain pour le handicap et le développement inclusif; dès lors, Rosângela et moi avons lancé une campagne internationale pour eux, dans le but de promouvoir l’idée d’une Convention internationale pour le droit des personnes handicapées. J’ai alors participé à la genèse de la Convention depuis ses tout premiers pas, j’ai par la suite pris part à toutes les sessions du Comité ad hoc. Une fois la Convention adoptée, j’ai oeuvré à la promouvoir et entrepris un travail de sensibilisation autour d’elle. C’est ainsi que j’ai développé une relation personnelle très intime avec la Convention.

Une fois la résistance des pays développés vaincue, l’assemblée générale a fait passer une résolution pour lancer le processus de négociation. Un comité ad hoc a été créé, qui fut chargé pendant la première session d’août 2002 de déterminer s’il était utile ou non d’élaborer un traité international sur le droit des personnes handicapées. Les négociations ont abouti à une réponse positive. En juin 2003, pendant la deuxième session, il a été décidé que le texte prendrait la forme d’un large traité général ; et plutôt que de constituer un comité d’experts internationaux, il a été décidé de créer un groupe de travail qui rédigerait un premier projet. Le texte a été élaboré en deux semaines en janvier 2004. Il était d’une qualité telle que si on le comparait à la version finale de la Convention, on y trouverait beaucoup de similitudes. Pendant la troisième, la quatrième et la cinquième session (entre mai 2004 et février 2005), des commentaires ont été ajoutés à chaque article du projet. Ensuite, Don Mackay devenu entre-temps président du comité ad hoc, s’est vu chargé de produire une synthèse globale qui s’est appelée « projet du Président ». Les sixième et septième sessions (entre août 2005 et janvier 2006) étaient censées faire le ménage dans le projet. Un accord définitif sur l’ensemble des articles a finalement été trouvé en août 2006 et l’approbation finale fut célébrée le 13 décembre 2006.

Comment avez-vous vécu ce processus d’élaboration ?

En plus de faire partie du groupe de travail qui préparait la première ébauche de la Convention en 2004 en tant que représentant des organisations de la société civile des Amériques, j’ai participé à toutes les sessions du Comité ad hoc. Pendant la première session, le groupe de personnes représentant les organisations de personnes handicapées était encore restreint et nous ne nous connaissions pas. C’est au cours de la seconde session que l’idée de l’International Disability Caucus a commencé à émerger dont le but était de porter la voix des personnes handicapées. Néanmoins, la sous-représentation des organisations en provenance des pays en voie de développement me préoccupait beaucoup. Cela m’a conduit à proposer l’idée du projet Sud, lequel fut élaboré en 2005, résultant d’un partenariat entre Handicap International et l’Institut interaméricain sur le handicap et le développement inclusif. C’est un projet extra-ordinaire qui a laissé une empreinte profonde sur le processus d’élaboration. Il a été mis en oeuvre en 2006. Entre janvier et août 2006, il a finalement vu plus de 60 responsables d’organisations venues de divers endroits, Asie, Afrique, zone Pacifique, pays arabes, participer au processus de négociation. La qualité des interventions de ces personnes a ouvert de nouvelles perspectives qui ont réellement enrichi les débats. Une fois la Convention approuvée, j’ai pris part à de nombreuses manifestations en Amérique latine aux côtés de Stefan Tromel, organisées pour diffuser, promouvoir et donner des formations sur la Convention en direction des personnes de langue espagnole et portugaise. Nous essayions également de sensibiliser les personnes, pour nous assurer que le traité – une fois ratifié- serait utilisé pour définir une politique publique réellement inclusive qui pourrait améliorer les conditions de vie des personnes handicapées dans les Etats parties.

Quel est, selon vous, l’enseignement majeur à tirer du processus de négociation ?

Il y a quelque chose de fondamental et en même temps de paradoxal dans la Convention: jamais dans l’histoire de l’élaboration d’un traité, la société civile n’avait joué un rôle aussi important et proactif. En quoi est-ce paradoxal ? Bien que formant, au sein du genre humain, un groupe qui subit les pires discriminations, les personnes handicapées souhaitaient participer et découvrir qu’elles parvenaient à jouer un rôle proactif dans l’ensemble du processus. Elles agissaient pendant les sessions du comité ad hoc, au sein du groupe de travail, dans d’autres manifestations et réunions en marge, ainsi qu’à travers les listes de diffusion sur Internet. De nombreuses propositions sont sorties de ces échanges, qui ont contribué à l’élaboration de la Convention. La devise: « rien sur les personnes handicapées sans les personnes handicapées » a véritablement pris tout son sens.

D’après vous, 10 ans après, quels changements la Convention a-t-elle apportés ? Quels sont les défis qu’il reste à relever ?

Il semble que la majorité des pays d’Amérique latine ne considère pas encore la Convention comme une référence. Certains ont progressé; mais divers rapports que j’ai pu voir s’en tiennent aux bonnes intentions. Ces rapports insistent plus sur les activités que sur les indicateurs de suivi pour des secteurs aussi importants que l’éducation, la santé, la rééducation et l’accessibilité. Aujourd’hui, nous avons besoin de rapports sur la manière d’améliorer les conditions de vie et l’accès aux droits pour les personnes handicapées. On manque certes encore d’un peu de recul, mais on devrait déjà pouvoir voir quelques résultats. Nous devons nous montrer plus exigeants, car les réalisations en rapport avec la Convention sont encore trop limitées. Un des grands défis est de continuer à agir du point de vue des organisations de personnes handicapées (OPH) en portant constamment l’attention sur les questions sociales et en se concentrant sur les droits humains, à exercer des pressions et à être une source de propositions. J’insiste sur ce point: les OPH ne peuvent réduire leurs actions aux seules plaintes et lamentations. Nous devons améliorer notre capacité de proposition et d’analyse. Beaucoup d’entre nous peuvent devenir experts dans la mise en oeuvre de solutions pour l’intégration effective des personnes handicapées et faire des propositions durables dans le cadre du développement et dans la limite des fonds disponibles. Pour ce faire, nous devons tirer profit du moindre espace disponible.

Copyright 2023 © Humanity and Inclusion  | All Rights Reserved